Ce soir, comme presque tous les jours, je pars faire un tour au chevreuil. Je gare ma voiture chez une connaissance qui m'avait signalé la présence d'un grand brocard qui mange ses salades et qu'il aimerait bien voir brouter un peu plus loin. J’enfile mes gants, ma cagoule et ferme le bracelet de mon décocheur et me voilà parti.
Je n’ai fait que 300 mètres quand, à 50 mètres de la lisière du bois dans lequel je viens de pénétrer, des bruits de pas attirent mon attention, quelque chose se déplace dans le fragon. Je m'approche silencieusement sur le chemin forestier et m'immobilise brusquement en apercevant, à 40 mètres environ, la tête d'un sanglier qui vient de surgir du fragon sur la gauche du sentier. J’arme mon arc au cas où. Il sort à découvert sur le chemin, s’immobilise plein travers en regardant dans ma direction « suis-je repéré ? », mon immobilité a l’air d’avoir fait illusion mais l'animal est beaucoup trop loin pour tenter une flèche.
Il fait demi-tour et remonte tranquillement dans le bois, je me rapproche de l’entrée de la coulée qu’il vient d’emprunter et, alors que je peux encore l’apercevoir se faufiler dans le fragon, je monte à mon tour dans le bois pour tenter une approche. Cela fait 30 mètres que je le suis en essayant de ne pas faire trop de bruit quand je m’aperçois qu’il n’est pas seul, des bruits de pas sur le tapis de feuilles mortes attire mon attention sur un gros sanglier mâle qui doit bien faire plus de 100 kg. Il vient droit sur moi et passe au pas à une dizaine de mètres, j’arme mon arc mais la végétation trop dense me dissuade de le tirer, il s’éloigne un peu puis revient sur ses pas pour repasser exactement sur ses pas toujours au pas sans faire attention à moi. Alors que je désarme mon arc en le regardant s’éloigner, j'aperçois trois autres gros mâles qui chahutent se donnant des coups de butoir par les flancs. Ils viennent vers moi mais s’arrêtent à 60 mètres et n’approcheront pas plus.
Un mouvement en bordure du bois au-dessus de moi me fait tourner la tête, j'aperçois une grosse laie suivie d’une compagnie de jeunes entre 30 et 50 kg qui passent la crête à la lisière du bois. Vu les différences de taille entre eux, ils ne sont certainement pas tous de la même portée. Tout ce petit monde descend dans le bois mais la laie s’immobilise ne me laissant voir que sa tête qui regarde dans ma direction pendant un petit moment avant de reprendre sa route. Tout ce remue-ménage m’avait presque fait perdre de vue mon objectif premier qui c’est maintenant bien éloigné sur ma gauche.
Je tente de m'approche au milieu du fragon en me faufilant silencieusement et couvert par le bruit des sangliers mais il reste hors d’atteinte et poursuit sa marche. Il est vraiment trop loin, je ne peux pas le rattraper sans presser le pas et me faire repérer. Les animaux sont tout autour de moi, je décide donc de changer de tactique, je m’appuie contre un gros chêne et m’immobilise. Mon regard se promène dans le sous-bois sur toutes ces crinières rousses et noires qui dépassent de la végétation, je compte entre 20 et 25 sangliers, et c’est alors qu’une bousculade intervient. Les jeunes animaux qui s’étaient un peu trop rapprochés du gros mâle se sont fait charger.
Dans sa fuite, un sanglier de 30 ou 40 kg vient s'arrêter à 10 mètres de moi, à demi caché par la végétation, j’arme d’un mouvement rapide et lui décoche une flèche. Dans le feu de l’action, je n’ai pas vu réellement où est partie ma flèche et je n’ai pas prêté attention au son de l'impact c’est donc sans vraiment savoir si mon sanglier est touché que je le regarde s'éloigner. Il s'éloigne doucement en remontant vers la harde puis se met à descendre avant de disparaître de mon champ de vision.
J'attends un moment, certainement 10 minutes, voire 15, puis je vais vérifier mon tir. Mon sanglier laisse une bonne piste au sang (sang sombre). Je commence à suivre les gouttes très visibles et en très grand nombre. Ses congénères sont encore tout autour de moi, 30 mètres plus loin, je m’aperçois qu’un deuxième sanglier vient dans ma direction. Je m’immobilise et attends la suite, il se rapproche doucement et vient finalement se placer plein profil à 15 mètres. J’arme mon Hoyt et décoche ma deuxième flèche de la soirée en plein dans l’épaule du sanglier qui couine et démarre en trombe en percutant un petit chêne qui rabat la flèche sur son flanc.
C'est la débandade toute la harde s’enfuit dans un craquement de branches et un bruissement de feuilles mortes, après les avoir regardé s’éloigner, je marque l'emplacement de mon deuxième tir et je continue à suivre ma première piste qui est vraiment bien marquée, à chaque saut d’arbre couché, le frottement du poitrail laisse une trainée de sang. Je vais la suivre sur 200 mètres environ, jusqu'à un saut de chemin. Mon sanglier rentre alors dans un fourré et descend vers le ruisseau, il s’est apparemment roulé sur un tapis de feuilles mortes ou il a laissé beaucoup de sang puis est reparti sans laisser une seule goutte sur 20 mètres. Ce n’est qu'au moment de ressauter le sentier forestier que je recommence à voir du sang mais les gouttes sont plus espacées.
La nuit me rattrape et le bas du chemin est un taillis très épais bordé en lisière du bois par le ruisseau, il me faut abandonner, je marque l’entrée d’une brisée et je reviendrai demain matin avec le président de la chasse d'Haulies. Je contacte le président le soir même et nous nous donnons rendez-vous pour 8h30. Je n'ai pas dormi cette nuit, la peur de perdre ces 2 sangliers, le remord d’en avoir tiré deux, l’excitation et les visions de cette chasse qui me revenaient sans cesse en tête.
Le lendemain matin, je suis au rendez-vous avec ma 280 Rémington et peu de temps après le président arrive avec son chien de pied, je lui propose de commencer par chercher le premier sanglier que j’ai tiré et nous voilà partis. Arrivé sur ma brisée, le chien ne marque même pas l’entrée, il va et vient, il tourne en rond puis rentre dans le taillis mais sans suivre la piste de mon sanglier.
Stupéfait, je décide de poursuivre tout seul la piste en suivant le sang à vue alors que le président de la chasse suit son chien qui le même bien loin de mon sanglier. Bien que les gouttes soient moins importantes que la veille, j’arrive à suivre la piste jusqu’au ruisseau où mon sanglier semble s’être baigné avant de sortir plein champ en traversant un épais mur de ronces. La coulée est bien marqué et le tunnel couvert de boue fraîche.
Ne pouvant pas traverser ce mur, je décide de le contourner et j’arrive ainsi sur la sortie, l’herbe est couchée et un peu boueuse mais le sang a disparu. Voyant arriver le chien et son maître je décide d’arrêter là la comédie et de faire appel à un conducteur de chien de sang, c’est d’ailleurs par là que j’aurais dû commencer. Le président de la chasse m’ayant donné son numéro je l’appelle mais il est malheureusement pris par une recherche sur un cerf blessé dans les Pyrénées et ne pourra être disponible qu’en milieu d’après-midi.
Je retourne tout de même sur les lieux de mon second tir, mais, à ma grande surprise, je ne retrouve qu’une partie (la lame et 20 cm de tube) de ma flèche cassée à 20 m de l'endroit où je tire mon sanglier et bien que je revois bien ma flèche rentrer au niveau de l'épaule, je ne trouve pas de sang même pas sur la flèche (pour celui-là je n'ai pas trop d’espoir). J'ai bien marqué la coulée et j'attends avec impatience le chien de sang.
Vers 15 heures, le conducteur de chien m’appelle pour qu’on se retrouve sur les lieux, nous nous retrouvons vers 15h30, il est accompagné d’un teckel à poil dur "Rabolio" et d’un airedale terrier qui lui sert de chien "forceur" pour les sangliers sur pied. C'est moi qui vais tenir cette boule de nerf en laisse. Le conducteur veut repartir du départ, je l’amène donc à la zone où j'ai tiré mon sanglier. Je le suis à distance (c'est ma première recherche au sang) tout en contrôlant que le chien ne prenne pas la piste d'un autre sanglier. Il y en avait tellement que le pauvre a été tenté plusieurs fois de prendre un autre animal mais je ne le remettrai qu'une fois sur la piste que j'ai faite tellement minutieusement hier soir que je la revois encore.
Rabolio arrive sans problème jusqu'au pré où je perds mon sanglier ce matin. La suite sera magique, il prend une des nombreuses coulées dans l'herbe et se dirige vers un bois d'épineux très dense où son maître le suit. J'ai encore mal pour lui, il progresse difficilement à quatre pattes sous les épines. Je contourne le bois avec la carabine à la main au cas où. Rabolio donne maintenant de la voix de plus en plus. Son maître l'encourageant et le guidant en lui disant par intermittence "le sang Rabolio, le sang…"
Tout à coup, le conducteur me cri : "il s'est couché là", juste avant la sortie du bois il s'est reposé un moment et a laissé une belle flaque de sang. Rabolio sort du fourré suivit par son maître dans un crissement d'épines acérées. Il me fait comme ça :" là je n'y crois plus trop, le bosquet devant toi c'est notre dernière carte..." je suis abattu, les doutes m'envahissent au fur et à mesure que les pas se cumulent. Il prend le pré et se dirige vers un petit bosquet, l'herbe est couverte par endroit de traînées de sang.
Rabolio semble perdre la trace en lisière du bosquet, il se tourne vers son maître et s'assied, son maître lui sort alors une écuelle et de l'eau et après l'avoir désaltéré, ils reprennent la traque. Le maître lâche la longe et Rabolio tourne et retourne dans l'herbe avant de s'enfoncer dans le bosquet mais sans conviction. Il va tourner et retourner sur 50 m² pour finalement sortir du bosquet. Je les suis mais, pour éviter les épines, je prends une coulée bien plus dégagée et c'est alors qu'en me baissant je pose la main dans une grosse tache de sang.
Je n'ai pas eu le temps de sortir du bosquet que j'entends une voix me disant alors que je n'y croyais plus : "il est là ". Après avoir laissé les chiens l'un après l'autre mordiller un peu leur sanglier, je me suis mis à genoux devant ce corps sans vie, comme un gamin qui ouvre ses premiers cadeaux de noël et je me suis mis à caresser mon sanglier et les chiens. Ce sentiment de bonheur qui m'envahit, je crois que je ne l'avais jamais ressenti aussi fort.
Comme pour me faire un peu culpabiliser dans ce moment si fort le conducteur de chien me lance : "tu as vraiment du bol, ta flèche était trop basse". En vidant le sanglier, je constaterai que la rate est entaillée ainsi que le foie très légèrement, c'est vrai que ma flèche n’est pas terrible. Je charge mon paquetage sur mes épaules et me voilà parti avec la petite troupe vers la voiture. Les 800 mètres qui nous séparent de la voiture en légère pente et l'ascension finale assez raide me font attraper une bonne suée mais quel bonheur d'avoir retrouvé mon sanglier.