Cette année, la fédération départementale des chasseurs du Gers a mis en place une nouvelle réglementation pour le prélèvement des brocards en tir d’été. Chaque société de chasse doit réaliser au moins 50 % de ses tirs d’été sur des brocards dont le trophée ne dépasse pas 4 pointes.
La petite société privée où je prends 1 de mes tirs d’été depuis 3 ans n’a qu’un seul bracelet pour cette période, je n’ai donc pas le choix, je dois flécher un 4 pointes au plus. N’étant pas très attaché à la valeur du trophée, les années précédentes, je partais du principe que le premier brocard que je parvenais à approcher étais celui que je fléchais, mais cette année cela s’annonce plus compliqué.
Le territoire où je chasse est morcelé en deux zones géographiquement bien séparées, une zone de prairies vallonnées entrecoupées de bandes boisées plus ou moins importantes et entourées de cultures (blé, orge et colza cette année), cette zone est limitrophe avec les sociétés de chasse de Pavie, d’Auterrive et de Pessan. L’autre zone en cuvette est composée de cultures (blé et tournesols cette année) entourées de penchants boisés, elle est limitrophe des sociétés de chasse de Pavie et de Lasséran. Les deux années précédentes j’ai fléché mes deux brocards sur la deuxième zone. Je décide donc de tenter de flécher mon brocard en limite d’Auterrive.
Après plusieurs sorties depuis le premier juin, je m’aperçois rapidement que cette zone peu chassée est très fournie en brocards (au moins 9 différents sur 90 hectares) mais que la quasi-totalité des animaux sont de grands brocards de six pointes, je pense que ces brocards de belle stature maintiennent les jeunes sur la périphérie du territoire. De plus les mâles de petites statures sont rendus très méfiants par ce harcèlement et je me rends vite compte qu’ils sont très difficiles à approcher.
Je décide donc, ce matin, de tenter ma chance sur l’autre partie du territoire. Sur le chemin, il bruine mais cette pluie fine s’arrête rapidement. Arrivé sur place à 5h45, Je me gare le long d’un blé qui surplombe le territoire. Je me prépare tranquillement, j’enfile mes gants, ma cagoule, ferme le brassard de mon décocheur alors qu’une petite brise souffle sur ma gauche.
J’arrache quelques brins d’herbes que je jette en l’air, leur chute dans le sens du vent conforte mon sentiment. Le sol et la végétation sont humides, mon pantalon camo ainsi que mes chaussures sont rapidement détrempés alors que je traverse le blé pour arriver au bord du bois.
Je suis la bordure du bois sur une centaine de mètres sur ma droite puis emprunte un chemin de terre qui le traverse pour me conduire au champ de tournesol un peu plus bas. Je descends tranquillement le chemin pour arriver sur la bande enherbée du champ de tournesol. Je suis encore sous le couvert des arbres quand un lapin détale du milieu du champ pour rentrer à couvert. Je tends la tête pour voir si un chevreuil n’est pas au gagnage.
Les pieds de tournesol ne dépassant pas encore 15 centimètres, la vue est dégagée et me permet de scruter la quasi-totalité de la zone non boisée. Pas un seul chevreuil, je reprends ma marche en longeant le bois sur ma gauche. Quelques mètres plus loin, je m’aperçois que les sangliers sont passés cette nuit, des traces fraîches longent la bande enherbée, un gros pied et plusieurs autres plus petits.
Je poursuis en suivant la bordure du champ et arrive au coin du bois qui remonte à angle droit sur 50 mètres environ puis tourne à 90° sur 100 mètre en prolongement de la limite blé/tournesol, toujours pas de chevreuil. Un gros îlot boisé au milieu du champ de tournesol sert souvent de remise aux petits cervidés mais aujourd’hui pas de mouvement de ce côté-là non plus.
Je longe toujours le bois, d’autres pieds de sangliers, certains d’aujourd’hui et d’autres plus vieux, ils doivent être sur le secteur. Arrivé au bord du champ de blé, la bande enherbée se termine et le bois remonte à nouveau à angle droit vers le chemin que j’ai pris pour venir en voiture.
Je remonte, toujours le long du bois sur environ 150 mètres puis repars vers la voiture, une bande de blé sépare le chemin du bois. Le vent a tourné, il vient maintenant face à moi et je me retrouve à nouveau à bon vent. Les sangliers ont donné quelques coups de nez dans le blé.
J’avance doucement quand, au niveau d’une zone où le blé est mêlé de chardons et de hautes herbes, une chevrette détale vers le chemin et traverse côté Lasséran pour disparaître dans un autre champ de blé. Je continue doucement et finis par apercevoir la voiture. J’hésite, il est 6h45 environ, soit je vais faire un tour sur l’autre zone, soit je tente de refaire le tour que je viens de faire.
Je décide finalement de redescendre le chemin forestier pour surveiller le champ de tournesol. Arrivé en bas, comme tout à l’heure, je tends la tête pour voir si un chevreuil n’a pas fait son apparition.
Cette fois, j’aperçois une silhouette rousse en plein milieu du tournesol sur ma droite. Le vent est bon. Le chevreuil semble me regarder mais il finit par se remettre à manger et me tourne le dos. La grande distance (200 mètres environ) qui nous sépare ne me permet pas de voir s’il s’agit d’un brocard ou d’une chevrette, sa morphologie n’est pas celle d’un grand brocard et j’ai l’impression que cet animal est maigre de plus sa démarche me parait bizarre.
Je décide de tenter une approche. J’avance de quelques mètres en longeant le bois sur la bande enherbée pour me retrouver partiellement caché derrière une branche feuillue. Je regarde le chevreuil au travers des feuilles et ce dernier semble revenir vers moi, je me baisse, alors qu’il est occupé à manger un petit pied de tournesol, et me retrouve sous la branche. Je reste là un petit moment, il reprends à nouveau sa marche et me tourne à nouveau le dos. Il avance de quelques pas, mange puis avance à nouveau.
Je tente alors de me rapprocher. Je passe sous le branche puis avance de quelques pas en longeant le bois, je reste collé un maximum à la lisière dont la bordure très épaisse forme un véritable mur vert, je progresse lentement à moitié baissé en essayant de fondre le plus possible ma silhouette dans le décor.
Je m’arrête, il regarde vers moi un moment puis fait sa toilette, il m’a peut être repéré, je reste immobile jusqu’à ce qui il se remette en marche. Il se rapproche du bois, je tente de m’approcher un peu plus, les branches sèches sont très cassantes et j’ai toutes les peines du monde à les éviter. Les sangliers sont aussi passés par là, à en juger par les nombreux coups de nez qu’ils ont donné pour déraciner les bulbes.
Je suis encore à 100 mètres au moins. J’avance doucement toujours collé au bois et marque une pause à chaque fois qu’il se redresse ou que sa position peut lui permettre de me repérer. Il semble très calme. Il finit par se rapprocher du bois et arrive dans une zone ou la végétation haute me le masque presque totalement, seul un peu de roux contraste avec le vert.
Je marque une pause et l’observe, il semble occupé à manger les feuilles contre le bois. Je finis par ne plus le voir, je tente une sortie, je progresse plus rapidement sur une vingtaine de mètres puis me recolle au bois alors que je l’aperçois à nouveau. Je suis à 50 mètres environ. Je ne sais toujours pas si c’est un brocard. Je commence alors une progression très lente sur la pointe des pieds, à l’affût de la moindre réaction suspecte de sa part, mais il semble ne pas me prêter attention.
Plusieurs fois, il relève la tête, les oreilles orientées vers moi et se remet à brouter le feuillage comme si de rien n’était. A environ 30 mètres, je marque un temps d’arrêt pour l’observer et j’arrive à distinguer de petit bois, c’est un 4 pointes. Encore quelques pas et arrivé à environ 25 mètres, je me baisse doucement pour disparaître de son champ de vision masqué par la végétation qui l’entoure et arme mon arc.
Je me redresse très doucement, il est toujours occupé à manger. Je fais encore quelques pas et me retrouve à moins de 20 mètres de lui, j’aligne ma visée et lâche ma flèche juste au moment où il tourne la tête vers moi.
Un bruit sourd, il me semble être un peu en arrière, mon brocard s’effondre sur place puis se relève et part avec peine pour rentrer dans le bois. Je l’entends quelques instants dans le bois puis plus rien. Mais alors que je m’approche de la zone du tir pour tenter de retrouver ma flèche des aboiements retentissent dans le bois dans la direction de fuite de mon chevreuil.
Le doute s’installe, je regarde le sol mais je ne retrouve ni de sang ni ma flèche. Les aboiements sont de plus en plus insistants et le chevreuil se met en mouvement. Il finit par sortir du bois 100 mètres plus loin au coin du massif. Il avance en plein découvert en aboyant de plus belle alors que je me baisse pour m’accroupir dans les herbes hautes. J’encoche une deuxième flèche et commence à répondre à ses aboiements par d’autres aboiements.
Il vient droit sur moi jusqu’à environ 40 mètres toujours en aboyant et moi à lui répondre. Il me semble que ses bois sont plus allongés que tout à l’heure. Puis il stoppe un moment face à moi, feint de brouter relève la tête plusieurs fois de suite, avance de quelques pas saccadés en tapant les sabots au sol. Puis se remet à aboyer avant de s’éloigner pour revenir dès que je l’aboie à nouveau.
Sa démarche empotée ressemble à celle de tout à l’heure mais il est parfaitement en forme ce qui me fait comprendre que c’est la terre collante qui lui donne cette démarche et non le fait qu’il puisse être malade.
Au bout de quelques minutes de ce manège, il finit par s’éloigner en aboyant alors qu’un autre chevreuil lui répond dans le bois d’en face. Il est déjà loin quand je me relève en remettant ma flèche dans mon carquois d’arc et c’est alors que j’aperçois ma flèche, plantée au sol, à environ 5 mètres, l’empennage rougi de sang.
Je n’y comprends plus rien, je me retourne et m’aperçois que je ne cherchais pas assez loin. Peu avant la flèche de grosses traces de sang qui rentrent dans le bois. Je récupère ma flèche et rentre dans le bois par la coulée empruntée par mon brocard. J’enjambe un petit ru qui longe la bordure interne du bois.
Le sang est bien rouge et la piste est assez facile à suivre. Je remonte doucement la pente boisée en suivant les indices sur environ 30 mètres puis tourne vers la droite pour faire encore environ 15 mètres et arriver sur mon chevreuil qui repose sur le ventre, les pattes écartés et la tête en arrière.
La flèche a bien tapé en arrière au niveau des reins et ressort dans le cuissot opposé. Il n’est pas du tout maigre comme je le pensais au départ. J’encoche et appose mon bracelet en repensant à ce change surréaliste qui m’a fait même douter un moment d’avoir entendu le bruit de l’impact de ma flèche sur l’animal.
Je rentre avec mon chevreuil à la voiture la tête pleine des images de cette chasse mémorable.
Au dépeçage, je m’apercevrai que la flèche a tranché l’artère surrénale et un rein en passant juste sous la colonne vertébrale. Ce jeune brocard est infesté de grosses larves blanches qui grouillent dans ses naseaux.
L’examen de la dentition me fait penser qu’il n’a pas deux ans, une dent de lait s’est même détachée lors de la préparation du trophée.
Alex
Trophée :
Atteinte :