Ce matin, nous devons plier le camp pour rentrer. Notre premier séjour en forêt est terminé. Au lever, je me passe ma pommade sur l'épaule car je sais qu'une dure journée nous attend sur le fleuve. Après le déjeuner, nous commençons à plier et à rassembler nos affaires.
Nous plions ensuite les bâches des carbés et rassemblons les affaires pour ne rien oublier. Une fois ceci fait, nous attaquons de peler les caïmans tués le premier jour. Je me charge d'un des miens
et Christophe d'un autre.
Mon caïman dépecé, Xavier me charge de découper 2 caïmans en petits bouts pour que nous puissions les manger en fricassée à notre retour. Pendant ce temps, Christophe s'occupe de dépecer le caïman d'Olivier que Xavier donnera entier au propriétaire de l'exploitation agricole où nous devons chasser le capibara cette semaine. Une fois les 2 caïmans en morceaux dans des boîtes en plastique, Xavier les assaisonne avec du citron vert et du sel puis referme les boîtes et les remet dans la glacière.
Nous rapprochons ensuite toutes nos affaires de la barque avant de la charger. Olivier et Christophe se répartissent mes flèches dans leurs valise d'arc car mon tube en carton qui a pris l'eau n'est plus utilisable. Cette fois nous y sommes, nous embarquons, il est temps de dire au revoir à cet endroit dont nous avons troublé la quiétude pendant quelques jours. Nous avions remarqué que la chienne se léchait la patte depuis 2 jours et qu'elle boitait un peu ce matin. En l'attrapant pour l'embarquer nous constatons qu'elle a un gros trou dans un orteil sous la griffe. De gros vers blancs lui mangent les chairs en creusant dans son orteil, il va falloir la soigner en rentrant. Xavier nous raconte que cette mésaventure lui est personnellement arrivée. C'est alors que je regrette fortement d'avoir parfois marché pieds nus dans le camp.
Cette fois la chienne restera sur les glacières derrière moi pour éviter un nouvel accident digestif. Rapidement nous arrivons aux premiers obstacles, avec les dernières pluies, le niveau de l'eau est remonté et certains arbres sous lesquels nous sommes passés à l'allée passent maintenant sous la barque sans trop de problèmes. Il nous faudra tout de même jouer un peu du sabre.
Rapidement, dans un virage, Christophe nous annonce qu'il sent une odeur de charogne. Je n'ai encore rien senti quand 2 urubus à tête rouge, posés sur un arbre couché au-dessus de l'eau prennent leur envol à quelques mètres devant nous. Une grosse loutre géante en décomposition et toute gonflée a été posée sur l'arbre par la montée du fleuve.
Les grands martins pêcheurs accompagnent toujours notre périple fluvial.
De temps en temps, nous apercevons également un matin pêcheur plus petit de la taille de notre martin pêcheur métropolitain (martin pêcheur nain).
Mon arc est prêt à côté de moi au cas où. Plus loin, un très gros remous attire notre attention dans un virage, Christophe et Xavier annoncent ensemble "maïpouri", je sors vite mon arc de sa housse mais l'animal a déjà disparu quand nous passons le virage alors que le remous s'atténue. Je range mon arc dans sa housse.
La chienne de Xavier s'est calée derrière nous et reste imperturbable malgré les obstacles et les branches basses qui nous repeignent de temps en temps.
Avec Olivier nous sommes à la manœuvre à la pagaie à l'avant. Xavier et Christophe sont ensemble à l'arrière. J'évacue régulièrement par-dessus bord des grosses fourmis ou des araignées qui nous tombent dessus quand nous passons des feuillages.
Alors que nous passons dans un passage resserré, une masse noire se laisse tomber à l'eau au milieu de la végétation sans que je puisse l'identifier, je demande à Xavier si il a vu de quoi il s'agissait et il me dit qu'il s'agit d'une sorte de cormoran amazonien (l'anhingas). Nous en verrons d'ailleurs un s'envoler un peu plus loin pour disparaître au-dessus de la canopée.
Les petites chauve-souris brunes sont toujours au rendez-vous et s'envolent à notre passage des creux de la berge ou des branches qui ressortent de l'eau.
Bien qu'il nous faille parfois manœuvrer et couper quelques branches la descente du fleuve semble beaucoup plus facile que la remontée. Un beau balbuzard pêcheur annoncé par Christophe nous passe juste au-dessus. Tout à coup, Xavier me lance : "Attention Alex, une grosse araignée juste à côté de ta main !" Ne sentant pas d'inquiétude dans sa voix et commençant à le connaître, je ne m'inquiète pas plus que ça et tourne la tête pour apercevoir une énorme sauterelle posée juste à côté de ma main sur une touque.
Elle sautera à l'eau un peu plus loin alors que je suis en train de la prendre en photo. Elle fera certainement le bonheur d'un gros poisson.
Nous faisons une petite pause avant de quitter le bras du fleuve pour nous dégourdir les jambes et manger un bout car les heures de navigation s'enchaînent. Un peu plus loin Xavier, qui connaît bien le fleuve, nous montre un raccourci qui est praticable quand l'eau monte un peu plus, il coupe un virage du fleuve qui serpente dans la forêt et forme aujourd'hui une sorte de petit rapide.
Les virages sont parfois très serrés et il suffit d'un petit passage de quelques mètres à quelques dizaines de mètres pour couper un lacer et s'économiser 15 à 30 minutes de navigation. Nous finissons par arriver au bout du bras, le fleuve devient alors beaucoup moins étroit et moins encombré.
Les obstacles deviennent de plus en plus espacés et de plus en plus faciles à passer.
Le paysage s'ouvre et les vols d'oiseaux s'enchaînent. Toucans et autres perroquets nous survolent. De temps en temps un papillon morpho survole le fleuve. Xavier en profite pour accélérer.
Christophe en profite pour reposer un peu son dos en s'allongeant sur une glacière.
Je repère de loin un très bel arbre aux allures de bonzaï que j'avais déjà repéré à l'aller.
Il est penché au-dessus de l'eau et son feuillage clair tranche avec la végétation plus sombre qui l'entoure. Régulièrement, alors que nous passons près du bord, des gros iguanes se laissent tomber à l'eau en faisant des plats très bruyants. Un peu plus loin Xavier commence à ralentir et consulte son GPS pour retrouver l'endroit où nous avons laissé le canoë. Quand nous arrivons sur place, j'ai du mal à reconnaître l'endroit car l'eau est montée d'environ 1 mètre. Nous accostons, cette fois c'est Christophe qui reste sur la barque. Je pars aider Xavier et Olivier.
A peine en forêt, une grosse quantité de moustiques nous assaillit et nous nous pressons pour remonter la pente raide en haut de laquelle se trouve le canoë retourné sur son moteur mis ainsi à l'abri. Nous redescendons séparément l'embarcation et son moteur puis les assemblons au bord de l'eau avant d'attacher le canoë au cul de la barque.
Je regarde bien les zones de végétation inondée car Christophe m'a dit qu'au dernier séjour ils avaient entraperçu des lamantins dans les parages mais impossible d'en voir. Nous apercevons par moment des traînées de bulles qui remontent du fond mais impossible d'affirmer que ce sont bien eux. Les changements de niveau du fleuve laissent une bande de végétation marquée par la boue à plus ou moins 1 mètre au-dessus du niveau actuel.
Un peu plus loin Xavier nous annonce un serpent et je peine à apercevoir un serpent vert tout fin mais assez long qui traverse le fleuve. Les vagues provoquées par la barque vont le secouer un moment après notre passage et le désorienter un peu.
Un bon moment après ce premier serpent un second de couleur brune mais tout aussi fin traverse à nouveau le fleuve.
C'est encore Xavier qui l'a vu le premier. Il manœuvre pour suivre le reptile fonce à toute allure et qui remonte en un éclair dans les branchages penchés sur l'eau.
Le voyage continue ainsi, à observer la faune et la flore, jusqu'à ce que le pont se dessine au loin.
Nous nous rapprochons du débarcadère. Un gros canard de barbarie, reconnaissable à son plumage noir avec ses ailes barrées de blanc, décolle devant nous et bifurque pour passer par-dessus la forêt, nous le perdons de vue. Ce canard que j'ai l'habitude de voir dans les cours de ferme gersoise est ici à l'état sauvage et vole très bien malgré un décollage difficile et maladroit.
La marée est haute et va faciliter notre accostage. Nous déchargeons nos affaires alors que Xavier se change pour partir faire du stop pour aller chercher son pickup et la remorque au village le plus proche. L'oiseau gris au ventre jaune présent à notre départ sur la rambarde du pont est à nouveau là.
Un automobiliste saramaka s'arrête pour prendre Xavier en apercevant la barque mais il est en fait intéressé par du poisson ou du gibier et vient droit vers la barque après s'être arrêté au bord de la route. Sans gêne, il commence à essayer d'ouvrir les glacières et Xavier doit lourdement insister pour l'en empêcher. Il nous demande du poisson ou du gibier pour prendre Xavier en stop et insiste très lourdement.
Il faut s'avoir qu'en Guyane la viande de forêt et le poisson péché à la ligne sont très prisés et que les gens viennent souvent acheter directement aux chasseurs ou pêcheurs à leur retour de la pêche ou de la chasse. Ce qui chez nous est plus ou moins tabou est ici normal. Xavier finit par le raccompagner à sa voiture et décide d'appeler un de ses collègues de boulot pour qu'il vienne le chercher. Ce dernier arrive assez rapidement et Xavier part avec lui.
Le soleil est brûlant et nous cherchons l'ombre en l'attendant une fois les affaires débarquées. Xavier revient assez rapidement.
En manœuvrant pour reculer la remorque au débarcadère Xavier recule un peu trop dans la végétation qui casse l'arrière de la remorque en plastique où se trouvent la plaque d'immatriculation et l'éclairage. Nous chargeons la barque sur la remorque, le canoë sur le toit du pickup puis les affaires dans la barque et le pickup puis nous partons.
Christophe fait la circulation le temps que nous prenions la route puis monte dans la voiture. Il est environ 17 heures. Juste au moment où nous partons les gendarmes arrivent derrière nous. Je pense les voir nous arrêter mais ils nous suivent un moment puis nous doublent comme si de rien n'était. En métropole ils nous auraient arrêtés pour défaut de signalisation sur la remorque. Après une heure de route nous voilà arrivé chez Xavier.
Nous déchargeons nos affaires puis passons un coup de fil à nos proches, il est environ 18 heures ici mais 4 heures de plus chez nous. Alors que je suis au téléphone, j'aperçois un jeune iguane posé sur un arbuste aux grandes feuilles. Il saute au sol alors que je m'approche pour le prendre en photo et se précipite vers un massif fleuri
autour duquel butinent des colibris aux couleurs vives et métalliques.
La nuit va vite tomber. Nous nous occupons ensuite un peu plus de nos affaires puis partons prendre une bonne douche qui fait un bien fou. Nous nous posons un peu puis préparons le repas du soir. Xavier nous prépare mes 2 caïmans. C'est un délice, de plus manger du caïman que j'ai fléché a une saveur toute particulière.
Pour le dessert Xavier me propose d'aller chercher des bananes dans son jardin. Il s'équipe de sa machette et nous partons couper un régime de bananes. Les crapauds buffles patrouillent sur la terrasse couverte à la recherche des insectes attirés par la lumière des néons.
Xavier me dit de faire attention aux nids de fourmis rouges qui parsèment son terrain. Ils sont repérables aux petits tas de terre qui poussent au-dessus de l'herbe mais sont très près du niveau du sol. Les bananes les plus mûres tombent au sol alors que Xavier coupe le régime. Nous remontons un peu plus tard avec un gros régime et les bananes tombées au sol.
Elles sont excellentes. Les bananes encore vertes mûriront sur le régime et nous les mangerons dans les prochains jours.
Ce soir, je vais partir avec Christophe pour aller chasser de nuit autour du ball-trap de Kourou où Xavier pense que nous pouvons voir des animaux. J'équipe mon arc pour la chasse de nuit et prends ma frontale. Une grosse sauterelle verte est posée sur la boîte aux lettres de Xavier.
Nous partons donc avec le pickup et nous garons devant le portail du ball-trap puis rentrons dans l'enceinte avec nos frontales à la recherche des cabibaras. Nous avançons doucement et balayons les alentours avec le faisceau de nos lampes. Christophe me montre un engoulevent qui passe un peu plus loin. J'aperçois une grosse rainette dans l'herbe à mes pieds.
Quelques lucioles scintillent dans la nuit noire. Le ball-trap est entouré de marais que nous longeons sans rien voir. Nous nous avançons parfois un peu dans les marais mais nos pauses d'observation ne donnent rien. Nous finissons de faire le tour du ball-trap et décidons de rentrer car aucun indice de présence des capibaras n'est présent sur le terrain.
J'aperçois alors un œil rouge dans l'herbe près du chemin de terre d'accès au ball-trap. J'éclaire et aperçois un engoulevent posé au sol.
Je m'approche doucement jusqu'à 2 ou 3 mètres
et alors que je le prends en photo, il s'envole. J'aperçois alors une petite boule de duvet au sol, cet adulte protégeait en fait son jeune.
Je le prends en photo puis m'éclipse rapidement pour ne pas trop le déranger. Nous rentrons.
Alex